De l'Islande aux Açores, un rail de perturbations sur l'Europe
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De septembre 2000 à avril 2001, la France a subi des pluies ininterrompues et importantes, qui ont provoqué des inondations catastrophiques. Pendant toute cette période, le "rail des perturbations" est resté obstinément bloqué au-dessus de notre pays. La dépression d'Islande, qui dirige le régime des pluies sur l'Europe de l'Ouest en cette période de l'année, était placée plus au sud que la normale, tandis que des anticyclones susceptibles d'écarter le flux pluvieux de notre pays, tel celui des Açores, restaient à l'écart.
Aujourd'hui, ils sont là et il fait enfin beau. Depuis six jours, le nord du pays connaît un temps sec et ensoleillé. Une situation due à la réunion de plusieurs anticyclones qui créent ainsi "une ceinture anticyclonique allant des Açores à l'Europe centrale en passant par les îles Britanniques " explique Patrick Galois, ingénieur prévisionniste à Météo France. La dépression d'Islande, quant à elle, reste bloquée sur le centre de l'Atlantique.
TRANSFERT D'ÉNERGIE
Ces deux systèmes jouent un rôle important sur le climat de nos régions. Mais ils n'expliquent toujours pas quel est le moteur de leurs variations malgré les progrès accomplis dans la compréhension de la cyclogenèse des perturbations et des tempêtes. "C'est donc encore un intense sujet de recherche ", se réjouit Alain Joly, spécialiste des perturbations dans le groupe d'étude de l'atmosphère météorologique (unité mixte Météo France et CNRS) à Toulouse (Haute-Garonne).
Sous nos latitudes, ces perturbations jouent un rôle très important, car elles participent au transfert d'énergie entre l'équateur et les pôles. Pour comprendre cela, il faut rappeler que notre Terre est une gigantesque machine thermique qui reçoit de l'énergie, donc de la chaleur, du Soleil. Du fait de sa rotondité, le Soleil chauffe davantage les régions équatoriales et tropicales que les pôles. Pour rétablir l'équilibre thermique, notre planète transfère l'excès de chaleur des régions chaudes vers les régions froides par le biais d'une grande circulation atmosphérique, appelée cellule de Hadley, du nom de son découvreur britannique.
A l'équateur, l'air très humide et chaud perd son humidité sous forme de pluies, monte dans l'atmosphère, et redescend beaucoup plus sec sur les tropiques. Ce qui produit les anticyclones tropicaux situés sur les océans, et notamment celui des Açores.
Par ailleurs, aux pôles Nord et Sud, il existe des basses pressions. Les vents se dirigent des hautes pressions vers les basses pressions. Mais, en raison de la rotation de la Terre, sous nos latitudes, "les vents, au lieu d'aller de l'anticyclone des Açores vers la dépression d'Islande, sont déviés vers l'est, explique Patrick Galois. Comme ce flux d'air est rapide, dans certaines régions, cela donne des instabilités qui donnent naissance aux dépressions mobiles que sont les perturbations ".
En altitude, il se passe un autre phénomène. La vitesse de rotation de l'atmosphère augmente au fur et à mesure que l'on se rapproche des pôles. Cela a pour effet de créer dans chaque hémisphère, à une altitude de 9-10 kilomètres et vers 30 degrés de latitude, un courant-jet très rapide, qui fait le tour du globe. "Dans ce courant, il se forme des tourbillons, des dépressions dynamiques qui se matérialisent sous la forme de vents très forts et très violents ", ajoute Patrick Galois. Lorsque les vents de surface et ceux du courant-jet s'associent, cela génère un "rail de perturbations" . Dans l'Atlantique nord, celles-ci prennent naissance au large des côtes américaines à cause du contraste thermique provoqué par la rencontre des coulées d'air froid, qui y sont présentes en hiver, et des remontées d'air chaud provenant du Gulf Stream qui longe les côtes de Floride. Les recherches réalisées dans le cadre du programme Fastex (Expérience sur le rail des dépressions atlantiques et des fronts) lancé en 1991 par Météo France et l'Institut des sciences de l'Univers du CNRS, et réalisé en 1997, ont permis d'en savoir un peu plus sur la cyclogenèse des perturbations et des tempêtes.
UN MOTEUR THERMIQUE
On a découvert que ces systèmes ont une vie plus compliquée que prévu. "Certains se forment, se développent, puis s'arrêtent pour repartir ultérieurement , précise Alain Joly. La phase critique, avec un vent très fort, se situe quand la perturbation passe sous le courant-jet." La perturbation "est un moteur thermique et fabrique du vent à partir du contraste de température qui accompagne le courant-jet. Le rendement de ce moteur dépend des températures ", ajoute le spécialiste. Plus la perturbation est mince en altitude et reste confinée en surface, plus son rendement est faible.
Dans ce cas-là, elle suit fidèlement le courant-jet en restant sur son rail. Si, au contraire, la perturbation s'étend sur toute la hauteur de la troposphère, environ 9 km, le rendement est maximal. Car la "source froide" est très froide en raison de l'altitude. Ce qui donne alors une perturbation intense qui a la capacité de se lier au courant-jet, d'interagir avec lui, de le traverser et de modifier sa trajectoire.
LE PETIT NINO DE L'ATLANTIQUE
" C'est le train qui amène son rail avec lui", plaisante Alain Joly. Deux possibilités se présentent. Soit la modification de la trajectoire du courant-jet est importante et les perturbations se succéderont sur cette nouvelle route. Soit elle se corrige d'elle-même et "le système retombe sur ses pieds", et les dépressions suivent les routes habituelles. L'oscillation nord-atlantique (ONA), ce petit Niño de l'Atlantique nord, souvent mis en avant pour expliquer le climat européen, intervient en fait assez peu. Elle se manifeste par les différences de pression entre la dépression d'Islande et l'anticyclone des Açores qui, si elles sont très marquées (indice positif), donnent lieu à un hiver froid et sec sur le sud de l'Europe et le sud de la France, mais à un hiver doux et humide sur le nord de l'Europe et de la France. Ce fut le cas entre 1988 et1992.
Paradoxe, alors que l'hiver a été doux et humide en France, l'indice a été légèrement négatif. Ce paramètre ne saurait donc à lui seul expliquer les phénomènes météorologiques sur la France, avance Serge Planton, responsable de la recherche climatique à Météo France. La France subit en effet plusieurs influences climatiques. Certains chercheurs estiment d'ailleurs que le climat européen obéit plutôt aux effets d'une oscillation de plus grande échelle, l'oscillation arctique. Preuve que rien n'est simple en matière de météorologie et de climat.
Source : Météo France