Selon une étude publiée dans la revue «Nature», la calotte glaciaire du Groenland a «probablement perdu 20 % de glace de plus» depuis 1985 qu’estimé jusqu’ici. Cela ne devrait pas «contribuer de manière substantielle» à l’élévation du niveau de l’océan, selon les auteurs, mais pourrait perturber la circulation des courants marins, déstabilisant encore davantage le climat.
usqu’ici, les spécialistes s’entendaient pour dire qu’un peu moins de 5 000 milliards de tonnes de glace avaient disparu du Groenland au cours de ces trente dernières années. Dans leur état des lieux, le glaciologue Chad Greene et ses collègues font savoir que 1 034 milliards de tonnes supplémentaires auraient oublié d’être comptabilisés parmi la masse totale volatilisée sur cette période. L’équivalent d’une superficie glaciaire de 5 091 km².
Pour parvenir à cette conclusion, les auteurs de l’étude se sont intéressés aux côtes du Groenland. Leur idée : rendre compte, par le biais de l’imagerie satellite, de l’étendue des pertes de masse relatives au vêlage, ce processus qui fracture un glacier et fait plonger un morceau de celui-ci dans l’océan. «Aucune des méthodes les plus couramment utilisées pour mesurer le bilan total de glace perdue n’est conçue pour mesurer la perte de masse que nous signalons sur les bords de la calotte glaciaire», expliquent-ils dans leur article. «Ces données sont importantes, parce que c’est vrai qu’il est très difficile d’aller regarder ce qui se passe sur ces littoraux façonnés par les fjords, abonde le glaciologue du CNRS Gaël Durand, rattaché à l’Institut des géosciences de l’environnement (IGE) et qui n’a pas participé à ce travail. Le vêlage demeure une grosse incertitude dans nos modèles et cela nous limite dans notre capacité à anticiper l’évolution de la calotte polaire du Groenland. Ces premières informations robustes nous montrent qu’on avait minimisé les choses.»
Rien qu’entre 2003 et 2018, l’équipe américaine relève que 43 milliards de tonnes de glace pourtant fondue n’ont pas été «prises en compte» dans l’équation et qu’ils doivent être rajoutés aux 221 milliards de tonnes de glace perdue en moyenne chaque année durant cette période (ce qui correspond bien, là aussi, à une sous-évaluation de l’ordre de 20 %).
Cette réévaluation change-t-elle la donne ? D’après l’article de Nature, ces fameux 1 000 milliards de tonnes de glace disparus depuis 1985 et jusqu’ici inconnus ne semblent pas «contribuer de manière substantielle» à l’élévation du niveau des océans et donc remettre en question les estimations acquises dans ce domaine (le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat estime que la fonte de l‘inlandsis groenlandais a provoqué une montée de 14 mm en trois décennies). En revanche, les auteurs notent que ces derniers «pourraient jouer un rôle» dans la compréhension «des schémas de circulation océanique et dans la manière dont l’énergie thermique est distribuée sur la planète». «L’apport de plus de 1 000 milliards de tonnes d’eau douce dans l’océan Atlantique Nord constitue une force qui pourrait renforcer les courants côtiers du Groenland, modifier le cours des interactions futures entre la glace et l’océan et affaiblir la circulation méridienne de retournement de l’Atlantique [un courant océanique appelé Amoc qui transporte l’eau chaude et salée de l’équateur vers le nord, ndlr]», développent les spécialistes, qualifiant cette «petite source d’eau douce» de «point de basculement» potentiel. «L’Amoc est le tapis roulant des courants marins et s’avère être le thermostat de la planète, précise Gaël Durand. Plus il sera déstabilisé, plus il déstabilisera à son tour les évènements climatiques.»