Alors que les catastrophes naturelles ont fortement affectées le continent européen, la question de l’aménagement de nos territoires face au changement climatique devient incontournable. Pourtant, l’action de l’Union européenne en la matière semble cantonnée aux réactions face aux risques naturels, et non à la prévention de ces risques. Pour pallier ce manque, l’Union pourrait s’inspirer de l’exemple de la France, mais tout n'est pas si simple...
Une politique européenne centrée sur la réaction face aux risques naturels
Samedi 2 novembre 2024, le Premier ministre espagnol Pedro Sánchez a demandé le soutien de l’Union européenne pour faire face à ce qu’il a qualifié des « inondations les plus graves que notre continent ait connues depuis le début du siècle », selon Euronews. En réaction à cette demande, Ursula Von der Leyen a indiqué que la Commission européenne se tenait prête à agir, notamment via l’activation du système satellitaire Copernicus, afin d’aider à coordonner les équipes de secours pendant les inondations. De son côté, Josep Borrell, le haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères, a rappelé que l’Europe pouvait intervenir via la mobilisation du mécanisme européen de protection civile et le Fonds européen de solidarité pour les catastrophes naturelles. Ainsi, entre 1980 et 2017, les catastrophes naturelles ont coûté à l’Union européenne plus de 90 000 vies humaines et plus de 500 milliards d’euros de pertes économiques. Mais ces dispositifs restent cantonnés à la réaction après des sinistres d’origine naturelle.
Basé sur les articles 175 et 212 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, le Fonds européen de solidarité pour les catastrophes naturelles permet à l’UE d’apporter une aide effective à un État membre ou à un pays dont l’adhésion à l’Union est en cours de négociations lorsqu’il doit faire face aux dégâts provoqués par une catastrophe naturelle majeure ou aux conséquences résultant d’une urgence de santé publique. Ce fonds soutient prioritairement la reconstruction à la suite d’une catastrophe naturelle.
De l’autre côté, le mécanisme européen de protection civile vise à améliorer la préparation et la réaction des États membres face aux catastrophes naturelles ou d’origine humaine. Ainsi, lorsqu’un pays connaît une catastrophe d’une ampleur telle que ses capacités de réponse sont dépassées, il peut faire appel à ce dispositif. La Commission européenne coordonne cette action et contribue à au moins 75 % des frais de transport et/ou des coûts opérationnels des missions de déploiement. Ces missions concernent à la fois la mobilisation d’experts afin d’évaluer le coût et l’ampleur des dégâts, des équipes de premier secours, la mise en œuvre d’échanges entre les parties prenantes afin d’identifier les bonnes pratiques en matière de gestion des sinistres naturels. Depuis sa création en 2001,il a été activé plus de 400 fois, aussi bien pour accompagner l’afflux massif de réfugiés ukrainiens au sein des États européens ou pour pallier les effets de la crise sanitaire, à la suite de la pandémie de Covid-19, que pour aider les territoires touchés par les incendies, les inondations ou les séismes.
Par ailleurs, certaines collectivités territoriales européennes peuvent demander la mobilisation du Fonds européen de développement régional (FEDER). Il vise à renforcer la cohésion économique et sociale dans l’Union européenne en corrigeant les déséquilibres entre les régions. Le fonds peut par exemple permettre d’investir dans la recherche, améliorer la compétitivité des entreprises et accompagner la transition écologique des territoires. Ainsi, pour le programme 2014-2020, le fonds était doté de 8,4 milliards d’euros. En s’appuyant sur le FEDER, les collectivités territoriales peuvent aussi se prémunir contre les conséquences des catastrophes naturelles. Par exemple, des collectivités territoriales du bassin de la Loire ont bénéficié de 143 000 euros de subventions du FEDER, afin de concevoir un outil d’autodiagnostic pour aider les entreprises à développer leur connaissance du risque d’inondation et ainsi mieux protéger leur activité. Une situation similaire a été identifiée dans les Pyrénées, où plusieurs collectivités de part et d’autre de la frontière espagnole ont bénéficié de 5 millions d’euros de subventions du FEDER pour mettre en place des mesures de protection des routes de montagne face à différents risques naturels (avalanche, glissement de terrain, érosion ou foudre).
Dans ces différents cas, les dispositifs européens liés aux conséquences des catastrophes naturelles ont été imaginés dans une optique de réaction et de gestion de ces sinistres. Si le FEDER peut permettre de financer des mesures de préparation face à ces évènements dramatiques, il n’existe actuellement aucun dispositif communautaire permettant de financer massivement et à grande échelle des ouvrages de prévention face à ces risques, a contrario de l’exemple français.
La nécessité de s’inspirer de l’exemple français en matière de prévention des risques naturels
En France, les pouvoirs publics nationaux ont mis en place un partenariat public-privé pour indemniser les sinistrés victimes de catastrophes naturelles, financé par les primes d’assurance payées par les assurés sur les contrats d’assurance de dommages aux biens (habitation, professionnel, automobile, etc.). En parallèle de ce régime d’indemnisation des catastrophes naturelles, un fonds spécifique a été créé en 1995, à l’initiative de Michel Barnier, alors ministre de l’Environnement. Ce fonds de prévention des risques naturels majeurs, surnommé « fonds Barnier », permet de participer au financement de mesures de prévention ou de protection des personnes et des biens exposés aux risques naturels majeurs. Il est possible de mobiliser le fonds Barnier dans l’une ou l’autre des situations suivantes :
- lorsque l’on est confronté à un risque grave et imminent (inondation rapide, cavité souterraine, chute de pierres, etc.) ou victime d’une catastrophe naturelle, le rachat de sa maison peut alors être proposé par l’État ou une collectivité : le montant correspondant au prix de vente qui est versé provient du fonds Barnier ;
- lorsque l’on a un bien situé en zone de risques naturels majeurs et que l’on réalise des travaux préventifs de réduction de vulnérabilité, pour les travaux de prévention inscrits dans un plan de prévention des risques naturels (PPRN).
Le fonds Barnier est doté de plus de 200 millions d’euros chaque année, via le vote d’une dotation dans la loi de finances de l’année concernée. Le fonds peut aller jusqu’à financer 80 % des travaux de prévention, dans la limite de 36 000 euros par bien.
Tous les ans, la Caisse centrale de réassurance, organe parapublic de réassurance des compagnies d’assurance face aux catastrophes naturelles, publie des rapports d’activité des projets financés par le fonds Barnier en fonction des régions françaises. Digues de protection, batardeaux face aux inondations, mise en conformité des habitations, réalisation de diagnostics de vulnérabilité face aux risques naturels, etc. sont autant de travaux éligibles aux financements du fonds Barnier, pour les collectivités territoriales et les particuliers. Par exemple, en Nouvelle-Aquitaine, le fonds Barnier a subventionné des projets de prévention à hauteur de 40 millions d’euros par an, entre 2009 et 2020. Ce montant est de 23 millions d’euros par an en région Hauts-de-France et de 75 millions d’euros par an dans les territoires ultramarins, sur la même période.
Un tel dispositif n’existe pas au niveau européen, mais serait pourtant pertinent pour aider les populations du Vieux Continent à se prévenir face aux catastrophes naturelles. Au-delà de la création d’un fonds spécifique, ces compétences pourraient être intégrées à celles du Fonds européen de développement régional, afin de permettre de financer des ouvrages de prévention des risques naturels, à cheval sur plusieurs régions européennes. Au-delà des ouvrages en tant que tels, ce dispositif permettrait d’inciter les collectivités européennes à réaliser des diagnostics d’exposition et de vulnérabilité de leur territoire face aux risques naturels. Les récents évènements climatiques nous rappellent à quel point ce type de mesure est fondamental et urgent afin de protéger les citoyens européens de ces drames et préparer les esprits à une meilleure culture du risque.
L'Europe est-elle prête à mutualiser ses catastrophes naturelles ?
En Europe, les entreprises et les ménages hésitent à souscrire des garanties contre les risques climatiques et catastrophes naturelles. Face à ce constat, l'Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles (Eiopa) recommandait en juillet 2023 la création de partenariats public-privé, inspirés du régime français d'indemnisation des catastrophes naturelles. En Allemagne, certains responsables politiques proposent de rendre obligatoire une couverture cat'nat' à prix modique, comme en France.
« Nous sommes de plus en plus sollicités pour expliciter notre modèle, le partenariat public-privé à base de réassurance, avec la garantie de l'État, confirme Édouard Vieillefond, directeur général de la Caisse centrale de réassurance (CCR), chargée de gérer le régime français des cat'nat'. Sans être obligatoire, le système français basé sur le principe de solidarité réduit les coûts pour les particuliers et protège la collectivité en garantissant la couverture de zones et de risques qui ne seraient plus assurables aujourd'hui. Les risques naturels se multiplient, révélant des carences de marché. Ils justifient désormais l'intervention publique, sous forme de subventions ou de garanties. »
Mais les discussions entre Européens ne sont pas simples. « En Allemagne, le débat est très polarisé, avec une opposition forte entre les partisans d'un régime cat'nat et ceux qui s'y opposent, résume Édouard Vieillefond. Nous leur avons expliqué notre système en soulignant qu'il n'est ni public ni obligatoire, mais qu'il s'agit d'un partenariat optionnel. » En Espagne, qui vient de connaître des inondations terribles faisant plus de 200 morts dans la région de Valence, un système d'indemnisation des catastrophes naturelles existe déjà, mais il est public, avec un assureur direct qui intervient en parallèle des compagnies privées.
La faisabilité d'un régime européen pour les cat'nat' se heurte à deux obstacles. Tout d'abord la grande diversité des systèmes d'assurance nationaux en Europe. La France se distingue par son très fort taux de couverture de l'assurance habitation (environ 97 %), qui inclut la garantie cat'nat. Mais de nombreux pays n'ont pas un taux d'équipement comparable en MRH. La seconde difficulté tient à la disparité des risques climatiques d'un pays à l'autre.
« La France est particulièrement concernée par le retrait-gonflement des argiles, qui fissure les bâtiments ; en Italie, ce sont la grêle et les tremblements de terre qui causent le plus de dégâts, observe le directeur général de CCR. L'Espagne doit faire face aux incendies de forêts et à des crues éclair. Outre-Rhin, le risque d'inondations est important, mais les cyclones, auxquels la France est confrontée dans ses territoires ultramarins, ne la concernent pas. Les pays accepteront-ils de partager des risques qui ne les impactent pas de la même façon ? »
Si l'idée fait son chemin, il faudra sans doute des années de discussions entre les États membres pour aboutir à une solution commune. « Le soutien des régulateurs et des institutions européennes, comme l'Eiopa et la BCE, ainsi que de la Commission européenne, serait indispensable pour concrétiser ce projet », estime Édouard Vieillefond. Mais le fait de lancer ces discussions est déjà une avancée importante. Un consensus pourrait se dégager autour de risques comme les inondations, auxquelles presque tous les pays sont exposés, avant d'envisager d'étendre le système à d'autres types de risques. Une autre possibilité serait de laisser chaque pays décider des risques à mutualiser au sein du système européen.
Quoi qu'il en soit, « un régime européen de ce type renforcerait le marché de l'assurance des grands risques et de la réassurance dans l'Union européenne, qui reste encore sous-développé par rapport aux États-Unis, estime Édouard Vieillefond. En plus de rendre les pays européens plus résilients face aux catastrophes naturelles, ce système pourrait aussi stimuler la croissance du secteur à l'échelle du continent. »